Notre première grande aventure.
Huit juillet, trois heures du matin, le réveil sonne. Il sonne les trois coups du départ d’une grande aventure. Il fait nuit et presque froid sur le port de Lalonde. Nous avons dormi à bord de notre bateau, d’un sommeil léger et agité, enfin, du moins pour moi. Hier soir, nous n’avons pas installé le taud de camping pour gagner du temps ce matin et avoir le moins de rangement à faire. Tout est mouillé de condensation. Nus pieds, je passe un rapide coup de chiffon sur les sièges, le tableau de bord, le pare brise. J’entends Martine, mon épouse, qui prépare un café…
Il fait toujours aussi noir, plus noir que je l’aurais cru ; sans doute une illusion… Enfin, nous allons partir, nous allons partir vers l‘Eldorado du plaisancier! Nous allons traverser vers la Corse, presque 300 km de voyage! Bien sûr, ce n’est pas si géant que ça, mais je ne m’appelle pas Tabarly, Mc Arthur ou qui sais-je.
Il y a bientôt un an que nous en parlons, que nous tirons des plans, que je me dis, que tout se passera bien, qu’il suffit d’être bien préparé. Un moteur en parfait état, de l’essence en pagaille, une météo sereine et calme et un brin de folie ou d’inconscience. 300 km en pleine mer à la merci d’un injecteur ou d’un doigt d’allumeur…Il est encore temps de se dégonfler... Pas question! me dit une petite voix dans ma tête.
Pas fier quand même lorsque je tourne la clé, trois quarts d’heure plus tard, et qu‘on largue les amarres.
Mais tout va bien, Vorace est content de partir, je le sens. Il me fait signe. Pour lui aussi, c’est l’aventure, lui dont l’étrave n’a jamais visée plus loin que Porquerolles ou le Levant, le voilà près à bondir plein Est de toute la longueur de ses huit mètres!
Son V8 , comme un gros chat, ronronne en attendant de s’étirer et s’élancer.
Tout marche au poil, il ne fait pas chaud...
Feux de nav allumés, nous sortons du port au ralenti. Personne pour nous encourager. Juste un chien traînard qui se gratte devant la pompe à essence en nous dédaignant royalement.
Le GPS m’annonce Cap au 115, distance jusqu’à l’arrivée, 270 km. J’ai 350 litres d’essence, donc en théorie 60 km de marge, ce n’est pas beaucoup, mais ça doit suffire. Je n’ai pas voulu transformer Vorace en tanker non plus!
Voilà, c’est la fin du chenal, un coup de barre sur bâbord et gaz, les dés sont jetés!
3500 trs, 33 km/h, c’est parti. Lourd de toute cette essence, il peine à planer. Un peu de trim, un mini poil de flap et le voilà bien calé sur un tout petit clapot.
La côte s'éloigne doucement, on est parti.
J’avais décidé de couper entre Porquerolles et Port-Cros et de laisser l’île du Levant sur ma gauche, donc de reprendre le bon cap le plus rapidement possible et, en fait, je change d’avis. Je vais longer la côte en gardant les îles à tribord et m’aligner dès que j’aurai dépassé la dernière. La mer est bien noire et mon feu blanc monté sur un mât, vu que le Vista n’a pas de fly, à tendance à m’éblouir en éclairant le bateau.
Il est quatre heures et demi quand nous attaquons notre bon alignement. Au loin, droit devant, le ciel semble déjà commencer à blanchir… Tout doucement, sur la gauche, la côte s’éloigne, les lumières s’estompent dans le jour qui se lève, il fait froid, nous supportons sans problème, jeans, pull et ciré.
Je me sens mieux, le soleil est là!
Six heures! Il fait grand jour, tout rivage a disparu, la mer est toujours belle, ma crainte de taper en pleine nuit un objet flottant s’estompe. Je reste, malgré tout particulièrement vigilant. Ma vitesse de croisière a changé. Au fur et à mesure que le réservoir se vide, le bateau s’allège et gagne en vitesse ; il est maintenant à 3300 trs à 35 km/h. Nous avons parcouru environ 80 km. Tout va bien. J’ai confiance, tout se déroule comme prévu. Le Cross est au courant de notre voyage, j’ai prévenu également la capitainerie du port d’Ajaccio de notre arrivée vers midi. Il est, en effet, prudent d’arriver le matin de façon à ne pas lutter contre une mer qui peut se lever à cause des brises thermiques... Ca ne doit pas être agréable, après 7h de navigation de faire les 50 ou 60 derniers km sur un mauvais clapot bien serré d’un mètre de haut. Vivement le petit café que nous avons décidé de prendre au moment de la pause, au milieu pile de la traversée. Allez, dans une heure, à peine, c’est bon.
120 km de rien droit devant!
150 km de rien derrière...
Le moment sympa de la pause
Pour que ce voyage soit parfait, il ne manquerait plus que quelques dauphins me dis-je. Je scrute donc la mer à la recherche du moindre défaut de ce miroir géant qu’elle est devenue sous un soleil magnifique.
Les heures passent, le café est loin, Vorace dévore les km toujours à 3300 trs mais maintenant à 42 km/h. La jauge a passé le milieu du réservoir, la température reste bloquée sur 65°. Tout roule.
Soudain, à tribord, à environ 300 m, il me semble avoir vu bouger quelque chose, je fixe la zone et quelque secondes plus tard, pas de doute, ça bouge là-bas. Coup de barre, je réveille ma femme qui dort comme une bien heureuse sur la banquette arrière et je commence à ralentir. J’approche tranquillement, maintenant au ralenti, non sans avoir collé une tarte à cet idiot de GPS qui n’arrête pas de me dire que je m’éloigne de ma sacro sainte route! A 30 m de nous, un énorme animal, du moins ce que j’en vois à l’air plus long que mon bateau, avance au pas sans un bruit.
On ne s'approche pas trop près
Que du bonheur
C’est un rorqual (je le découvrirai plus tard). Il ouvre soudain son évent pour prendre sa respiration, un trou plus grand qu’une assiette, puis descend tout doucement. On dirait un sous-marin qui plonge dans un remous aussi puissant que silencieux. C’est trop beau, c’est magique, du jamais vu, et c’est à nous que ça arrive!
Pourvu qu’il ne soit pas effrayé et qu’il remonte! En tout cas, nous voilà payé de tout, de toutes les galères du bateau, de tous les efforts que nous devons toujours faire pour naviguer, de tout l’argent investit, de tout, je vous dis!
Soudain, à 100 m devant le revoilà, il, ou elle, à vrai dire est remonté à la surface, on le voit souffler. Vorace, sagement tourne au ralenti et avance doucement. Ils sont maintenant deux à naviguer de concert.
On ne se rend pas compte, mais ce rocher est un bout de baleine d'au moins 6 ou 7 m de long!
D’un seul coup, en voilà un qui surgit à la surface à moins de 5 m de nous, un énorme machin tout gris, plus gros que mon bateau. Qu’est-ce que ça veut dire? Curiosité ou intimidation, On ne va pas lui demander. On les observe un petit moment puis je m’éloigne tranquillement pour ne pas les incommoder. Eux aussi, ont droit à leur espace…
Je remets gaz sur la bonne route, à la grande joie de Magellan qui trouve que ça a assez duré! Comme une joie ne vient jamais seule, un quart d’heure plus tard, nous serons entourés d’une joyeuse bande d’une bonne cinquantaine de dauphins. Nous sommes restés au moins une demie heure avec eux, un pur moment de plaisir…
Super dur de prendre des dauphins avec un viel APN, jamais synchro!
Notez le calme de la mer...
Deux autres fois, nous croisons des baleines… Il est bientôt 11h du matin, la mer est toujours parfaite quand au loin, un nouveau miracle se produit. La Corse est là, on la voit, il nous reste 55 km à faire! Peuh! Une promenade, pour un peu, on pourrait le faire en ramant! A 30 km, la mer commence à s’agiter et nous terminons notre traversée sur un bon clapot un peu désordonné. Il ne me reste plus d’essence dans le réservoir, donc par sécurité, je vide les jerrycans de secours , plutôt que de tenter la panne sèche à 800 m du bord!
Et voilà, sept heures et demi de navigation, des souvenirs à vie pour un mini exploit!
Nous voilà garés dans le port d'ajaccio, tout est OK.
J’ai refait cette traversée plusieurs fois depuis, mais jamais, je n’ai retrouvé l’exaltation de la première! Ce sont des moments magiques que je souhaite, à tous, de vivre .
Marc